jeudi 26 février 2009

elle (2ème partie)

La journée, elle travaille. Alors la journée, je pense.

J’accepte. Je renie. Je renonce. Je veux que tout ça change une bonne fois pour toute, et puis j’abandonne. A quoi bon ? Je me donne des raisons de tout quitter. Je m’inflige toutes les responsabilités possibles puis, je m’accuse. T’avais qu’à… au moment où… Et maintenant, c’est l’autre qu’elle convoite. Lui, il est vierge. Il est au-dessus de tout soupçon. Et il est là où tu devrais être si t’étais moins con.

Alors je pense à lui. J’imagine. Je transpose ce que j’ai vécu et je remplace mon corps par le sien. Mes mots dans sa bouche. Mes mains sur ses seins, sur ce corps qui m’appartient. J’entends ses pas monter les marches, je vois ses yeux toucher ses courbes, sa timidité lorsqu’il rentre pour la première fois dans ce lieu sacré. Je sens le poids de ses actes sur le plancher grinçant. Son visage conquis dans le miroir de glace. L’eau qui coule sur lui et ses mains qui osent alors qu’il n’est pas chez lui.

Comme tous les hommes jaloux, il me plait de l’imaginer comme étant une brute épaisse, sans attention à son égard et trop sûr de lui pour être crédible. Et tous les défauts fusent. Inculte, narcissique, méprisant, hystérique, prétentieux, sûrement de mauvais goût, un donneur de leçon, négligé et influençable, cartésien, insatisfait, moche, maniaque, alcoolique, drogué, donc violent et impuissant, vieux avant l’age, dominant ou dominé, parano, pleurnichard, solitaire, hypocondriaque et…

… et je me dis qu’il ne peut pas être tout ça. Que je le préfère sans aucun défaut. Non, sur ce type, il n’y a rien à dire. Il est très bien. Il passe partout et se fond dans la masse. Il est poli et très doux. Il est marrant et tendre à la fois. Il sait s’y prendre avec elle, sinon pourquoi ?

Et il me plait de me mentir qu’il est tout ça et que ça ne suffit pas.

*

Alors pourquoi ?

Un matin, je me suis réveillé à côté d’elle. Quand j’y pense, j’ai l’impression que c’était il y a une éternité. Comme si elle avait toujours fait partie de ma vie ou comme si je n’avais pas réellement existé avant de la rencontrer. C’était une nuit si différente, identique à la personne qui se trouvait ce matin-là dans mon lit. A bien y réfléchir, c’est moi qui étais dans le sien. Quelques secondes pour me rappeler la soirée. Quelques minutes pour culpabiliser. Quelques heures pour tenter d’oublier. En vain.

Je suis sorti discrètement du lit, posé mes affaires sur le coin de la table et j’ai attendu, mort de honte parce que vide de regret. Je venais de faire ce que tant d’hommes ont l’habitude de faire et pour la première fois, ça prenait un sens.

Le café fumant, j’ai fait tourner la cuillère dans le liquide sombre de mon esprit pour me demander qui j’étais. Le réveil allait sonner et j’appréhendais. Je suis devenu très lâche et cette lâcheté, il fallait que je la prenne à deux mains pour lui expliquer. Lui dire quoi, que la vie est parfois étrange, un désir par-ci, une envie par-là et voilà qu’on vit sa première nuit d’amour clandestine. Elle savait. Elle connaissait déjà ma vie et elle avait quand même accepté de passer la nuit avec moi. Pourquoi ? Pour se faire emporter par quelques sentiments futiles et éphémères.

Les nuits illicites ont perduré. Pendant des mois, sans question, sans lendemain, sans espoir. Sans savoir pourquoi je continuais à la voir à l’insu de la vie que je m’étais efforcé de créer. J’avais mon monde à moi, caché au fin fond de ma tête, comme une vengeance personnelle envers ce qui est normal. Contre la loyauté et la fidélité. Contre l’amour et l’amitié. Contre cette femme et contre la mienne.

A chaque fois, je me persuadais que rien de tout ça n’était possible. Je m’enfuyais et retournais vers mon amour trompé, cachant sous mes sourires quelques baisers inavouables. J’oubliais qu’elle existait, que nous avions fait l’amour quelques heures auparavant et que j'avais failli ne pas revenir.

Des mois durant, je me suis posé là, sans bouger, sans observer, sans apercevoir ce mal qui nous rongeait. Des mois à travailler, lever le rideau et finalement le baisser, ne laissant apparaître que les apparences, propres et linéaires. Les mots doux et sensés. Laissant la peur au vestiaire, me résignant à une nouvelle vie sans elles.

Elle était devenue le pilier principal de ma vie. Sans le savoir, c’était elle qui prenait les décisions à ma place. Des plus grands choix à la simple façon de m’habiller, je faisais tout pour lui plaire. Tout était fait en fonction de ce qu’elle pouvait penser de moi et pour rien au monde je n’aurais voulu la décevoir.

Petit à petit, les regards chez moi avaient tendance à s’éteindre. La gentillesse infidèle a laissé la place à de la lassitude, du manque, une rancœur envers celle qui, pour moi, était indirectement responsable de mes trahisons. Parce qu’elle n’avait pas su m’apporter tout ce dont j’avais eu besoin, j’étais allé voir ailleurs. Parce qu’elle n’avait pas su voir ce mal qui me rongeait et qu’elle semblait rester aveugle devant l’évidente trahison. Parce que j’étais trop lâche et que j’ai perdu de vue tout ce qu’elle aurait pu me donner si j’avais su l’accepter.

*

La première est partie, écrasée par le manque et la déception. Accablée par le refus et le rejet. Dépecées par la rage et la haine qu’elle ne pouvait plus exprimer.

La seconde, pour un autre qui savait l’aimer.
*


Il me semble qu’elle a toujours été là. Je suis ce qu’elle est. Une sorte de mimétisme. Je veux aimer ce qu’elle aime, détester les gens qu’elle méprise. Toujours être d’accord avec elle mais ne jamais lui montrer. J’aime tout en elle. Même ce que je n’aime pas chez les autres me fascine lorsque ça paraît chez elle. J’aime son visage, j’aime sa douceur. J’aime sa pudeur. J’aime qu’elle soit l’élément de comparaison quand je suis avec une autre femme. J’aime que ce soit la dernière personne à qui je pense quand je vais me coucher et la première lorsque je me lève. J’aime qu’elle s’impose à moi comme étant l’unique femme qui ne comptera jamais pour moi. J’aime son écriture qui, doucement, glisse sur ma peau les mots les plus tendres qu’il m’ait été donné de lire. J’aime son nom qui s’étincelle à chaque fois que je pense à elle et qui me brûle quand je ne peux le prononcer. J’aime que ce même nom n’appartienne qu’à ma bouche et qu’il sonne faux quand un autre l’appelle. J’aime la savoir seule au milieu du monde quand je ne suis pas là. J’aime me sentir perdu quand je ne la sais pas assez près de moi. J’aime qu’elle n’aime pas ce que j’aime plus que tout au monde. J’aime l’entendre dire qu’elle n’est pas belle pour pouvoir lui répéter sans cesse qu’elle l’est. J’aime qu’elle m’aime. J’aime qu’elle s’endorme sous mes doigts glissant sur son visage. J’aime l’érotisme de nos regards. J’aime ses yeux quand elle me regarde. J’aime son corps sensuel et désiré. J’aime la pureté de mon sexe quand il s’endort contre elle. J’aime ses gémissements quand nous faisons l’amour. J’aime que son plaisir soit si intense qu’il ressemble à de la douleur. J’aime le désir naissant à chaque fois que je la regarde. J’aime que ce même désir ne se tarisse pas quand nos étreintes s’achèvent. J’aime la douceur de ses caresses et de ses maladresses. J’aime la regarder sans rien dire. J’aime qu’elle se pose des questions quand je la regarde sans rien dire. J’aime rien faire avec elle. J’aime la savoir indépendante. J’aime avoir besoin d’elle à tout moment. J’aime parler avec elle. J’aime l’écouter me parler de tout et de rien. J’aime l’interrompre d’une de mes caresses. J’aime marcher derrière elle. J’aime qu’elle se repose sur moi comme si rien ne pouvait lui arriver. J’aime pouvoir répondre à chacune de ses questions. Je l’aime. J’aime comprendre pourquoi je l’aime. J’aime savoir qu’elle n’est pas parfaite. J’aime ses imperfections. J’aime qu’elle aime les miennes. J’aime fantasmer sur elle. J’aime la douceur de ses baisers. J’aime le grain de sa peau. J’aime l’odeur de son cou. J’aime penser que tout ce que j’ai dit est vrai. J’aime que le souvenir de tout ce que j’aime en elle ne soit pas qu’un souvenir. J’aime que tout ça soit gravé à jamais dans mon cœur et dans ma tête. J’aime qu’après son passage, ma vie ne soit plus jamais pareille…

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