vendredi 4 décembre 2009

il est là.

Il est là, dans l'ombre de ma rupture. Passant et repassant comme un fantôme. Il se déplace avec grâce. Doux, discret. Chaud et apaisant. Il aime ce que j'aime, déteste les gens bruyants, il sait se taire. Il ne connaît pas la peur. Il n'a jamais eu mal, ou si peu. Il ne sait pas se servir de la douleur. Juste légèrement de ses yeux avec lesquels il me parle, tout doucement. Juste pour montrer qu'il est là. Qu'il se distingue délicatement dans mon marasme. Et que si je ne le suis pas, il s'en ira, tout aussi discrètement.


Je repense à la chute. La rupture entre le bonheur et le malheur. Où l'amour devient anonyme. Le plaisir, charnel et l'autre, un objet de tendresse et de rejet. Et pourtant, à ce moment-là, j'étais à deux doigts de m'en aller.


J'ai respiré longtemps à côté de lui. Je continuais à vivre avec lui, à sommeiller tout près dans ce lit qui semblait si grand. Je ne dormais plus. Je n'osais plus le toucher. Il ne m'appartenait plus. J'ai bien tenté une ou deux fois, pour l'entendre dire d'un air sérieux et médisant que ce n'était pas correct ce que je faisais. Alors, je me recroquevillais sur moi-même, attendant que la nuit s'achève. J'ai passé trop de temps à dormir sans me soucier de quoi que ce soit. Et lui, il devait ruminer cette phrase dans sa tête pendant des heures sans pouvoir fermer les yeux. Et moi, je le regardais s'oublier dans ses rêves, le visage détendu, soulagé. Plus aucun poids sur l'estomac, aucun dilemme.


L'amour est parti. Et il ne reviendra plus. Il me l'a dit un soir que la mer sépare. Une mer agitée, qui se retire et qui semble ne plus pouvoir regagner la côte.


Et ce monde, j'avais beau y croire, il n'existait vraiment plus.


Ne plus aimer. Un mauvais rêve tout au plus. Je ne crois pas à l'arrêt cardiaque foudroyant. C'est physiologiquement insensé. Le cœur ne peut s'éteindre sans raison.

*

Il se déplace de la même façon, l'air pataud, d'un pas nonchalant. Lui aussi est grand et lui aussi, il a la tête rasée. Il porte le prénom d'un personnage biblique. Il est son salut. Il est sa perte.

Et c'est avec lui qu'elle s'en va… avant de revenir. Pour repartir.

*

Elle est là, douce, compréhensive. D'elle, il accepte toutes les compassions. Elle le pleure et ça lui fait du bien. Partout où il va, elle le suit.


Il est beau. Finalement, elle ne l'a jamais vraiment vu si bien habillé. Il a revêtu son beau costume noir et sa plus belle chemise blanche. Il est majestueux. Il lui sourit. Il dort paisiblement. Il ne se soucie pas de sa propre mort. Il dort.


Il est si beau. Il est si froid. Quand elle pose sa main sur son front comme sur celui d'un enfant malade, tout se glace avec lui et tombe dans le tourbillon de la mort. Elle aussi, un jour elle a voulu mourir. Elle aussi a voulu vomir cette vie et voir partir si loin de ce corps si proche. Elle aussi a voulu tout ça. Mais elle arrive à peine à pleurer lorsqu'elle s'échoue sur le sol.

*

Un adieu sobre. Noir. Et au final, les choses reprennent un sens, pendant quelques jours. On croit que ça va durer toujours, ce poids sur le cœur. Ce nœud sur l'estomac. Cette « non-envie » de manger. Un peu quand même ? Pour faire plaisir. Non. Parce qu'il est parti, encore une fois. Dommage, c'était bien. C'était mieux. Pendant une semaine, puis deux. Pas trois. L'autre aussi attend. Il est compréhensif, mais il n'est pas patient.


Tout savoir. La torture. Celle de ne rien savoir. Celle d'imaginer ce qu'ils font. Il m'est arrivé de me poster en bas de son immeuble avec l'espoir que ça se passe mal entre eux. Avec l'espoir de la voir sortir en courant, me trouvant nez à nez avec elle. C'était moi. Souvent, j'ai attendu. Jamais elle n'est sortie. J'ai attendu de moins en moins souvent. Je me suis contenté d'imaginer.


Et de demander.


Il est en elle et c'est à moi qu'elle ose penser, coupable de ses sentiments, de ses actes et elle regrette qu'il soit en elle. Qu'il se perde en elle. Et que je sois si loin. Et le lendemain, assis à la terrasse d'un café, entre deux sanglots forcés, les autres refusant de sortir, je la regarde, un sourire en coin, presque sûr de moi : C'était comment ?


C'est toujours délicat de demander ce genre de choses. Il est comment ? Il te fait quoi ? Mieux que moi ? Pourquoi tu veux pas me répondre ? C'est parce que j'ai raison ? Tu l'aimes ? Tu l'aimes ? Tu l'aimes ?


Peut-être qu'elle est mal à l'aise. Elle n'ose pas répondre. Pour ne pas blesser. Pour ne pas avoir à se justifier si c'était aussi mauvais. Elle n'a rien à dire. Et moi non plus.


Elle ne l'aime pas. Moi elle m'aime.

*

Lui n'est là que pour faire oublier ce qu'ils sont. Ce qu'ils étaient. Mais elle n'y arrivera pas s'il ne fait pas la même chose de son côté. Il oublie ce qu'elle vient de dire. Il prend une feuille et il écrit. Il écrit qu'ils s'oublient.


Ils s'oublient souvent dans ce grand lit qu'elle domine désormais.


*

L'autre est parti. Il n'est plus qu'un souvenir. Elle n'était pas assez présente. Pas assez bien. Il était trop cocu, peut-être. Pas assez fier. Sûrement pas assez amoureux pour accepter quelqu'un d'autre dans sa vie à elle. Pas assez bien pour l'accepter lui.


Alors, on dirait qu'ils seraient amis, que c'était ce qu'elle voulait. Qu'il serait tout le temps ensemble, qu'ils partageraient tout, leurs histoires d'amis, leurs histoires d'amour, leur histoire de vie. Qu'il ne serait que colocataires, qu'elle pourrait emmener le nombre de garçons qu'elle voudrait, il ne dirait rien. Qu'il l'aimait, et que quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse, il l'aimait.


Mais elle ne peut plus le regarder dans les yeux. Elle ne supporte plus de voir cet enfant pleurer, entendre cet être qui s'endors en gémissant et qui se referme sur elle, ce corps si souvent inanimé qui oublie parfois de respirer. Il a beau lui tendre sont âme qui dégouline entre ses mains, elle s'assoie à côté de lui et détourne ses yeux en le prenant dans ses bras.


Alors il commence par se dérober, tout doucement, avec l'idée de s'en aller. Dans un sens, il a eu ce qu'il voulait. Elle n'est plus avec l'autre. Il reste le seul maître à bord. Mais le navire continue malgré lui à dériver et ils s'échoueront un jour où l'autre.


Elle ne l'aime plus, elle lui a redit, aujourd'hui. Et il lui en veut pour ça. Pour le mal qu'elle lui fait. Pour ne pas lui tendre la main, pour ne pas lui dire de ne pas s'inquiéter, qu'elle est là. Qu'elle va l'aider. Il s'en veut aussi qu'elle en soit arrivé là, si bas, et de n'avoir rien fait pour qu'ils puissent se relever. Il a honte de lui. Il a honte d'avoir aimer, honte d'avoir osé espérer. Honte d'avoir cru être irremplaçable.


Il a honte d'avoir pensé à disparaître, comme lui, comme ça, dans l'ombre. Il a honte de ne pas en avoir eu le courage. D'avoir pleurer pour ça. Il a honte d'être ce qu'il est et de détester ce qu'il est devenu.


Du coup, il ne la regarde plus. Ses grands yeux noirs se défont avec le temps. Sa bouche est devenue cruelle, ses doigts, agressifs. Ses courbes s'avilissent de jour en jour, son visage se durcit quand elle le voit, et elle ne lui plait plus. Et même si c'était le cas, il ne lui dira plus. Il a décidé lui aussi qu'il ne l'aimait plus.


La rencontre.


La rencontre est évidente.


Quelques jours pour comprendre. Quelques jours éclairés dans une pénombre de plusieurs mois. Et les choses changent. La vie reprend le dessus, aveuglement, blanche lumière, se défaisant du cœur noir de son amant endeuillé. Elle est là et lui aussi.


Elle passe et repasse dans sa vie. Le croise. Les croise inlassablement. Se lie violement au couple désunit et pénètre la brèche pour s'enfuir avec lui. C'est elle qui arrache les griffes du démon. C'est elle qui se nourrit du feu qui les anime. C'est elle qui s'enflamme et s'éteint sur la roche de son cœur, fendue par endroit.


On aimerait souvent s'arrêter, un jour, regarder son passé.

Si la douleur l'emporte sur le bonheur, pouvoir effacer tout ça et recommencer.

C'est comme ça que tout commence, une sorte de lobotomie.


La suite n'est que la raison de ce geste insensé qui ne fera que répéter les mêmes évènements.

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